Antoine Bachelin, France-Soir
La vision hamiltonienne à l'épreuve des politiques de Trump : une quête d'autonomie moderne.
En 1791, Alexander Hamilton, premier secrétaire du Trésor américain, publie son « Report on Manufactures», un plaidoyer audacieux pour transformer une Amérique rurale en puissance industrielle. « La richesse et la sécurité d'un pays dépendent de ses manufactures », écrit-il (Library of Congress). Contre Thomas Jefferson, chantre d'une société agraire, Hamilton prône des tarifs douaniers, des subventions et des usines pour briser la dépendance britannique. Ce texte, bien que freiné à l'époque, inspire le « Système américain » de Henry Clay, des canaux d'Érié aux textiles de Lowell, faisant des États-Unis une puissance mondiale au XXe siècle.
Deux siècles plus tard, les échos d'Hamilton résonnent dans les politiques protectionnistes de Donald Trump, président de 2017 à 2021 et depuis janvier 2025. Ses tarifs de 2018 sur l'acier (25 %) et l'aluminium (10 %), ou ceux annoncés pour avril 2025 – 10 % sur toutes les importations, jusqu'à 34 % sur la Chine – rappellent l'appel d'Hamilton à l'autosuffisance. Mais, dans un monde globalisé, cette stratégie est-elle pertinente ? Cet essai explore les parallèles entre Hamilton et Trump, leurs succès et les défis d'une souveraineté économique au XXIe siècle.
Hamilton : une vision pour l'indépendance
À l'aube de l'indépendance américaine, les États-Unis exportaient coton et tabac, mais importaient des biens manufacturés de Grande-Bretagne. Cette dépendance menaçait leur souveraineté, surtout en temps de guerre. Hamilton, dans son Report on Manufactures, propose une industrialisation rapide. Il défend des tarifs pour protéger les jeunes industries, des subventions pour encourager l'innovation, et des infrastructures (routes, canaux) pour doper le commerce. Sa « Society for Establishing Useful Manufactures » (SEUM) vise à coordonner ces efforts, ciblant des secteurs stratégiques : métallurgie, textiles, papier. Pour Hamilton, l'industrie crée des emplois, stimule l'innovation et sécurise la nation, produisant armes et vêtements en cas de crise. Face à Jefferson, qui craint inégalités et urbanisation, Hamilton insiste : manufactures et agriculture se renforcent mutuellement, un marché intérieur robuste garantissant la prospérité.
Trump : un héritier d'Hamilton ?
Comme Hamilton, Trump veut réduire la dépendance aux importations, protéger les industries et renforcer la sécurité nationale. En 2018, ses tarifs sur l'acier et l'aluminium relancent la sidérurgie américaine (+8 % de production entre 2017 et 2019, US Geological Survey). En avril 2025, il intensifie cette approche : un tarif universel de 10 %, des taxes de 34 % sur la Chine, 25 % sur l'automobile et la fin de l'exemption « de minimis » pour les colis chinois. Ces mesures ciblent des secteurs vitaux – semi-conducteurs, automobiles, pharmaceutiques – pour contrer la domination chinoise (60 % des puces mondiales, Semiconductor Industry Association). Des projets comme les usines TSMC en Arizona, promettant 20 000 emplois, illustrent une relocalisation concrète, écho moderne à l'autonomie prônée par Hamilton.
Trump justifie ces tarifs par une « urgence nationale » face à un déficit commercial de 1,2 trillion de dollars (2024). Lors de son discours du « Liberation Day » (2 avril 2025), il déclare : « Nos ouvriers, agriculteurs, artisans ont souffert. Nous restaurons notre base industrielle. » Cette rhétorique rappelle Hamilton, pour qui l'industrie garantissait la souveraineté. Comme le colbertisme français sous Louis XIV, où l'État forgeait manufactures et marine, Trump mise sur un État fort pour relancer « Main Street » – les travailleurs et petites entreprises – contre la volatilité des marchés mondiaux.
Succès et limites dans un monde globalisé
Les tarifs de Trump portent leurs fruits : la sidérurgie rebondit, et des usines de puces s'installent aux États-Unis, réduisant la dépendance à Taïwan et à la Chine. Les investisseurs obligataires, notant la résilience économique américaine face à la chute chinoise, valident cette stratégie long terme (Bloomberg, 2025). À l'image d'Hamilton, qui voyait loin malgré les critiques de Jefferson, Trump parie sur des gains durables : emplois, pouvoir d'achat, moins de dettes pour les générations futures.
Mais des défis subsistent. Les économistes comme Paul Krugman et le Peterson Institute prédisent des hausses de prix (10-20 % sur les biens importés) et des représailles chinoises, potentiellement coûteuses (500 milliards pour les ménages, Peterson, 2025). En 2018, les taxes chinoises sur le soja ont coûté 27 milliards aux fermiers américains.
Dans une économie mondialisée, où les chaînes d'approvisionnement sont interdépendantes (puces taïwanaises, pièces automobiles européennes), le protectionnisme peut perturber. Hamilton opérait dans un monde mercantiliste ; Trump navigue un réseau complexe. Ses détracteurs arguent que l'autonomie totale est illusoire, et que la volatilité des marchés – critiquée par Trump comme les « panican » de Wall Street – pourrait freiner la croissance.
Pourtant, ces hausses de prix semblent temporaires. Les industries se réinstallent, comme le montre TSMC, et les prix pourraient baisser à mesure que la production locale s'accroît. Hamilton lui-même tolérait des coûts initiaux pour bâtir une économie robuste.
Trump, conseillé par des figures comme Peter Navarro, adapte cette vision : briser la tutelle chinoise, comme Hamilton ciblait l'Angleterre, reste une priorité. Les représailles sont un risque, mais la souveraineté – industrielle, technologique, sanitaire – prime pour sécuriser l'avenir.
Une ambition intemporelle ?
Hamilton rêvait d'une Amérique autonome, capable de rivaliser avec l'Europe. Trump, avec ses tarifs, poursuit cet idéal, modernisé pour affronter la Chine et les crises globales.
Les succès – emplois, relocalisation – côtoient des défis – inflation, tensions commerciales. Pour un public français, cette quête évoque le colbertisme : un État audacieux, mais confronté à un monde interdépendant. Hamilton n'anticipait pas tout ; Trump et ses équipes sauront-ils équilibrer souveraineté et coopération ?
L'histoire jugera, mais leur pari long terme, comme celui d'Hamilton, pourrait redessiner l'Amérique.
Antoine Bachelin Sena est sur X. Pour retrouver ses livres cliquez ici.